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Des Nouvelles du Dehors
30 juin 2007

Carré Blanc

torture_sas
    Ouvrons une parenthèse : les figures de style, les phrases bichonnées par le verbe et l’adjectif qui font mouche n’ont, parfois, aucun sens. Elles sombrent dans l’inutilité de l’instant. Les cris des suppliciés sont souvent plus forts. Un verbe ne peut pas crier plus fort qu’un homme qu’on torture. Et peu importe que l’homme en question soit délinquant, islamiste, communiste, violeur ou assassin. La torture n’est pas à dénoncer en fonction de celui que l’on torture. Ce n’est pas un procédé que l’on agrée pour les uns et qui nous offusque pour les autres. La torture est un système d’avilissement inacceptable. Que des systèmes policiers le mettent en place comme méthode de fonctionnement politique est certainement la pire des abjections humaines. Mais que des journalistes suggèrent que la torture soit appliquée à des criminels est une dérive de trop que l’on ne peut passer sous silence.
    Je ne lis la presse que d’un œil distrait à cause de ces successives dérives. Nous avons tous lu des articles racistes. Des articles sexistes. Des articles mensongers. Il y a même ceux qui annoncent fièrement qu’ils sont pour la peine de mort. La peine de mort, malgré son inefficacité et son infamie, est déjà un autre débat. Parce qu’elle est la résultante d’un procédé judiciaire légal sur lequel les hommes sont départagés. Mais suggérer la torture comme l’a fait un journal du soir, la revendiquer en son âme et conscience comme légitime pour certains criminels, la décrire dans une parfaite lucidité comme salutaire est forcément impardonnable.
    Une chronique de presse dans laquelle on fait le «plaidoyer de la torture» est un cas unique dans les annales de l’histoire du journalisme. Même les journaux de l’extrême droite nazie n’auraient pas osé ce fâcheux glissement. Devant cette dérive mentale du journaliste, Mein Kamf d’Adolf Hitler est un livre pour enfants. Hitler n’a à aucun moment décrit les tortures qu’il fallait infliger aux Juifs, aux Tsiganes ou aux homosexuels.
    Un journal qui appelle à la vengeance, à la vendetta, un journal qui explique avec «science» comment il faut maltraiter -dans une sélectivité eugéniste- les criminels, comment il est souhaitable de les maintenir en vie pour que ces criminels sentent la douleur, souffrent et paient dans une totale solitude pour les crimes qu’ils ont commis n’est déjà plus un journal. C’est une abjection. Je le dis avec mes plus profondes marques de respect aux amis qui sont dans ce journal. Au lieu des excuses immédiates que la direction aurait dû insérer le lendemain de la publication de cette flétrissure, nous avons eu droit à une autre page dans laquelle des lecteurs se solidarisaient avec cette dérive.
    Il n’y a rien de plus dangereux que de caresser les hommes dans le sens du poil émotionnel, leur dire ce que leurs plus bas instincts veulent bien écouter. Il est temps de se poser les bonnes questions sur notre métier en évitant d’offrir les mauvaises réponses ; il est temps de lancer de vrais débats sur cette profession. Sinon, d’autres s’en chargeront comme ils l’ont toujours fait.
    Un article qui plaide publiquement pour que les criminels ne soient plus considérés comme des justiciables, mais des monstres qu’il faut torturer aurait dû susciter un débat, des polémiques, des réactions des organismes de défense de droit de l’Homme… Pas un mot. Si nous ne considérons plus les criminels comme justiciables, la notion de justiciable n’a plus sa raison d’être.
    Ce journaliste dit dans son article, où la haine était le seul verbe, qu’au lieu de la peine de mort, il serait «plutôt favorable à une mort lente. Très lente. Etalée sur des mois, voire sur des années. Précédée et entretenue par des actes de torture pleinement assumés. De ces actes qui font mal longtemps, lentement, atrocement. Un individu qui viole une gamine de 3 ans, un imam qui viole dix enfants en bas âge ne doivent pas être délivrés trop vite de la vie. Ils doivent, au contraire, vivre la douleur la plus intense le plus longtemps possible».
    Rappelons à ce confrère que Bachir Hadj Ali a été torturé. Pendant très longtemps, comme lui-même suggère de le faire pour d’autres. Si ma mémoire ne souffre pas encore d’une profonde défaillance, ce militant communiste, poète de la fraternité, qui pleurait en écoutant El Anka, avait subi onze séances de torture. Onze longues séances que personne ne peut imaginer à leur juste mesure. On peut juste en deviner très sommairement la souffrance. On peut juste en éprouver le dégoût, mais pas la douleur dans ce qu’elle a de plus humiliant. Les opinions politiques de cet homme n’étaient pas en harmonie avec le «sursaut révolutionnaire» de Boumediene. Il a été arrêté après le coup d’Etat du 19 juin avec d’autres hommes, comme Mohamed Harbi et Hocine Zehouane.
    Il faut voir Lucette, l’épouse de Bachir Hadj Ali, pour comprendre, même quarante ans après les événements, la tragédie d’un homme humilié par ses «frères».
    Onze ignobles séances dans lesquelles des hommes crapuleux l’ont soumis à la question. Il faut relire l’Arbitraire pour mesurer cette ignominie dans sa totale abjection.
Il faut lire Henry Alleg pour se rendre compte de cette flétrissure. Il faut imaginer Audin embarqué par les paras français murmurer à ce dernier, parce que Alleg a été le dernier à avoir vu vivant Audin, avant de disparaître définitivement : «Henry, c’est dur.»
    Il faut écouter les gamins torturés par la police pendant les événements d’octobre 88 raconter les supplices de leurs bourreaux.
    Il fallait être à l’université de Bab Ezouar en novembre 88 pour écouter Ras Kabous raconter comment il s’est fait émasculer, comment des hommes lui ont coupé son sexe avec du fil de fer roulé autour ; du fil de fer qu’ils tenaient chacun d’un côté avec des tenailles sur lesquelles ils tiraient de toutes leurs forces.
    Il faut imaginer un homme se faire enlever les ongles avec des tenailles. Des hommes se faire sodomiser avec des manches à balais. Des hommes hurlant de douleur, dans une profonde solitude, derrière des murs capitonnés. Des hommes suppliant d’autres hommes qui leur ferment des tiroirs sur leurs parties génitales.

   

Je jure sur les âmes mortes après la trahison
    Je jure sur le verbe sale des bourreaux bien élevés
    Je jure sur le dégoût des lâchetés petites bourgeoises
    Je jure sur l’angoisse démultipliée des épouses
    Que nous bannirons la torture
    Et que les tortionnaires ne seront pas torturés

   

Ces mots que vous venez de lire ne sont pas des mots en l’air, puisés dans le texte béat d’un humanisme de circonstance. Ce sont les mots d’un homme qui a subi les affres de la torture. Il s’appelait Bachir Hadj Ali. Fin de la parenthèse.

   

SAS
sidahsemiane@yahoo.fr

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Commentaires
N
Je vous remercie pour cette chronique. N'oublions pas que ce qui est censé nous différencier des animaux c'est cette humanité. Et encore, je ne pense même pas que les animaux, soit capables d'une telle barbarie. Perdant cette humanité, nous sommes pires que des bêtes.
A
Les sadiques ils sont des deux côtés il ne faut pas se leurré mais quant ça vient d'un journaliste cela veut dire que la situation est vraiment inquiétante un journaliste perver à l'extrême je ne connais pas encore allah yestar.
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