Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Des Nouvelles du Dehors
22 juillet 2007

Rien de méchant dans tout ça.

valise_de_lemigre

    L’été, indépendamment des feuilletons à scandales -de ses marronniers amusants les folliculaires des officines obscures auxquels nous a habitués la presse- est particulièrement favorable à quelques mutations, épisodiques forcément, mais qui se renouvellent chaque année avec un peu plus d’obstination. L’été, avec son lot d’amourettes éphémères est aussi la saison des reconfigurations familiales, donc, par extension, sociales.
    La vie prend de nouvelles couleurs (pas toujours gaies) et une certaine légèreté invraisemblable le reste du temps. Cette mutation est le fruit exotique, légèrement amer pour les uns et tout à fait sucré pour les autres, du retour des émigrés. Le grand rush estival des z’magra ; cette diaspora faite de femmes et d’hommes qui sont dans un ailleurs souvent «improbable» revient au bled pour le grand rendez-vous de l’année. Un peu comme ces oiseaux migrateurs des zones humides qui, dans un dérèglement fou du temps, feraient le cheminement inverse pour camper au sud en été et se diriger, pour passer les saisons froides, vers le nord. L’homme est un oiseau à sa manière, pas encore anéanti par une pandémie aviaire, qui, à défaut d’avoir des ailes pour voler au-dessus des interdits gouvernementaux, tente d’avoir le bras long pour mettre à son avantage les vicissitudes du temps.
    Dans la joie des retrouvailles, on se rend compte d’abord que les nouveaux émigrés nous font presque oublier les plus anciens, qu’ils ne sont plus tout à fait les mêmes. Qu’ils ne ressemblent plus à ces anciens que l’on appelle en France «les chibanis». Ils ne portent plus les vieux bérets basques, ne sont pas très gomina dans les cheveux et ne portent plus les costumes prince-de-galles à l’occasion des retours.
    Ils ne reviennent pas avec des Peugeot remplies de friperies et d’ustensiles en tout genre, des gadgets inutiles pour la cuisine ou des mini-ventilateurs de voitures installés sur le tableau de bord qu’ils n’oubliaient jamais de mettre en marche dès qu’ils sont dedans. Ils ne portent pas forcément les grands sacs bleu blanc rouge de chez Tati. Ces émigrés racontent une autre histoire de ce pays. Ils sont partis à cause d’une autre guerre que celle pour laquelle leurs parents ont dû partir.
    Ces nouveaux émigrés nous plongent immédiatement dans le cœur de la tragédie de la deuxième guerre. On se remémore leurs départs précipités, leurs bagages mal faits, leurs maisons vendues à la hâte ou laissées en location ou en gardiennage à un parent en difficulté. Chaque génération d’émigrés préserve la mémoire d’une époque. Parce que, eux n’oublient pas les raisons pour lesquelles ils sont partis, contrairement à ceux qui restent, qui s’obstinent à ne pas comprendre pour quelles raisons ils ne reviennent toujours pas.
    Le retour des émigrés, c’est aussi les cousins et les cousines d’Alger, de Ziama et d’ailleurs qui refont connaissance, avec la même curiosité renouvelée chaque année, avec leurs cousins et cousines de Paris, de Montréal et de Dubaï en transmettant les uns aux autres, dans un sabir sympathique et à deux sens, les nouvelles de la vie. On parle de la dernière génération des MP4, du téléchargement qui est interdit ailleurs et pour lequel on s’emploie avec une fierté cocardière à rappeler qu’il est encore admis, en feignant au passage de rappeler que cette liberté d’agir est plus le fruit d’un sous-développement chronique de l’Etat que d’un quelconque souci gouvernemental de diffuser en masse la culture. Pis, on sait que les injonctions menaçantes de l’Organisation mondiale du commerce ne vont pas tarder à pointer le bout de leur nez.
    Quand les autres se plaignent de la menace des OGM et des aliments sans goût achetés en grande surface, nous on joue aux malins pour leur rappeler que nos légumes sont cent pour cent bio, tout en sachant que l’assertion n’est pas totalement exacte et qu’elle le sera forcément de moins en moins les prochaines années. Et gare à celui qui, le temps de quelques semaines de vacances, s’aventurera à donner son opinion sur le délabrement des routes, la déliquescence des hôtels, la lenteur bureaucratique de l’administration, ou qui fait semblant d’être indisposé par la saleté des rues ou des plages. Comme des vierges effarouchées, et dans une mauvaise foi innommable, on se surprend à être outré par des propos que nous-mêmes, et avec plus de sévérité, tenons à longueur d’année.
    La bataille à fleurets mouchetés est menée dans la bienséance des propos sournois, d’un côté comme de l’autre, parfois. Mais il n’y a rien de méchant dans tout ça...
    Mais à la fin de l’été, les cousins de là-bas repartiront immanquablement en larmes avec quelques litres d’huile d’olive qu’il faut se débrouiller pour envoyer en bagages à cause des nouvelles mesures sécuritaires prises par l’aviation civile, de quelques makrouts mielleux qu’il faut absolument bien emballer et de quelques blagues totalement nouvelles ou partiellement renouvelées sur les gens de Mascara. Mais il n’y a rien de méchant dans tout çà...
    Les nouveaux émigrés.
    Les émigrés viennent de partout, aujourd’hui. La France tient encore le haut du palmarès mais pas forcément celui du prestige. Etats-Unis, Canada, Emirats…
    Les jeunes filles d’émigrés on les reconnaît à leur façon de s’habiller, d’être à l’aise dans des tenues courtes, de transgresser allègrement des conventions rigides. Les locaux tentent de les convaincre de s’habiller de manière plus appropriée. Mais, c’est leur façon à elles de s’habiller. Ça crée des tensions, mais tout le monde finit par admettre cette façon de faire et d’être. Vive les transgressions.
    Djamila, elle, salariée dans une entreprise, n’est pas contente de voir tous ces émigrés. Il n’y a rien de méchant dans son propos. Elle est en colère parce que chaque année «le marché des fruits et des légumes flambe de leur faute. Ils achètent, dit-elle, tout et n’importe quoi sans rechigner. Ils font le bonheur des commerçants. Mais ils nous ruinent avec leurs euros et leurs dollars, ils ne se rendent pas compte de la cherté de la vie».
    Adel est revenu de Vancouver. Il ne supporte plus Alger. Il s’est habitué à sa nouvelle vie. A la verdure. Aux randonnées. Aux lacs. Aux arbres. Il a tout plein de photos son portable. Il dit qu’à Alger, il étouffe. Saïd est rentré de Montréal. Il est ingénieur en hydraulique. Il a fait ses études dans les années 70 en Union soviétique. Il s’est marié comme la plupart des étudiants algériens «qui se respectent» avec une Russe. Schéma classique du parcours estudiantin en URSS. Aujourd’hui, il est réceptionniste dans un hôtel à Montréal. Il est content. Il vient passer ses vacances chez lui, à Ziama, avec son fils. Ce dernier a l’accent canadien. Il rentre à l’université cette année, en génie du logiciel, une branche de l’informatique. Quand vous lui demandez si son fils est né là-bas, il dit que non. «Son histoire est compliquée ; il est né à Moscou.»
    Malik a 9 ans, il est né à Paris. Son père a quitté le pays en 1994. L’année dernière, ses tantes et ses cousins lui ont demandé s’il mangeait du cochon ? Naïvement, il avait répondu par un oui. Personne ne s’attendait à ce piège que personne n’avait vraiment préparé. Et personne n’était prêt à cette épreuve. C’était toute une histoire pour son père qui a dû se justifier en inventant une histoire de jambons hallal que les enfants pour ne pas se distinguer des autres camarades de classes appellent cochon. Personne n’a cru la version du père. Naturellement. Mais cette année, Malik est mieux préparé aux «ruses de la guerre». Sa mère lui a fait la leçon. Si jamais l’expérience se renouvelle, il sait qu’il doit dire non, je n’en mange pas. Et si, comme l’année dernière encore, on lui demandait s’il croyait en Dieu, sa mère lui a appris à dire qu’il était trop jeune pour ces choses-là. Son père a passé une bonne partie de la traversée en bateau à lui expliquer la leçon de sa mère. A deux, ils ont répété toutes les possibilités et les manières de contourner les pièges de la famille.
    Maya vit à Paris, elle sait lire et écrire alors qu’elle n’a pas encore fait 5 ans. Les cousins de son âge n’ont pas encore appris à lire. Malik a déjà lu le dernier Harry Potter, il fait plus de 400 pages. Mais ces cousins l’ont déjà vu et ils ont le DVD. Le combat est inégal mais passionnant. Chacun prend de l’autre ce qu’il peut prendre.
    La confrontation Nord-Sud se maintient dans l’infiniment petit entre cousins et cousines, et elle durera le temps d’un été. Mais rien de méchant au fond.
    La guerre des mondes est menée par des enfants. Elle ne fera pas de victimes. Elle suscite des jalousies, des affrontements, quelques prises de bec parfois et souvent quelques rancunes qui seront oubliées dès l’automne mais qui se renouvelleront forcément, d’une manière ou d’une autre, l’été prochain. Bonnes vacances.

   

SAS
sidahsemiane@yahoo.fr

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité