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Des Nouvelles du Dehors
21 septembre 2007

Il était une fois la guerre.

c_la_guerre

    Je rentrais de vacances. Sur la route, j’ai croisé des camions militaires qui rentraient de la guerre. Etranges chassés-croisés. Absurde oscillation de la vie. Vacances et guerre peuvent alors se croiser sur une route nationale, dans un banal mouvement du temps ? un affreux hasard des routes ?
    Il y a forcément un des deux mouvements qui est de trop dans cette figure du temps. Dans cette oscillation surréaliste des corps. C’est soit la guerre. Soit les vacances.
    Ils ne sont pas programmés pour se croiser. Il y a forcément un dérèglement des sens.
    Vacances et guerre sont deux concepts inconciliables évoluant dans deux espaces totalement distincts.
    Dans sa voiture, il avait des paniers en osier de différentes tailles achetés sur la route à des gamins. Il pense que ça fera joli dans sa cuisine. Une nouvelle cuisine. Il pense mettre dedans les fruits et les légumes frais. Il aime bien cette idée. Puis, il aime bien acheter des choses sur la route. Il est convaincu que ça peut aider des familles pauvres.
    Il avait aussi un parasol. Un vieux parasol rouge et blanc. Maigre héritage que lui a légué un oncle qui travaillait à Air Algérie. Deux sacs de vêtements. Des draps. Il avait même un hamac.
    A côté de lui, sa femme. Lunettes de soleil. Jupe fendue. Bronzée de la tête aux pieds.
    Sur le siège arrière, il avait soigneusement installé une plante. Une belle plante. Un ami la lui a offerte à Bougie. Il a promis de l’arroser et de lui changer de pot dès son arrivée chez lui.
    Il dit que ça s’appelle des oreilles d’éléphant. Sûrement à cause de la forme de ses feuilles. Il avait aussi un sac en plastique dans lequel il avait mis son maillot de bain et celui de sa femme et des sandales sans lanières, juste pour éviter de se blesser sur les rochers. De marcher sur des oursins. Des maillots pas encore séchés. Preuve de leur dernière baignade matinale avant de prendre la route vers Alger.
    Il n’avait pas lu la presse depuis vingt jours. Pas de télé. Pas de radio non plus. Tout juste de la musique et quelques films qu’il passait sur son ordinateur portable, le soir, avant de dormir.
    Mais là, en face de lui, cette vision le perturbe. Elle le met un peu mal à l’aise. Des dizaines de camions militaires qui avancent vers lui. Des soldats fatigués. Des visages défaits. C’est la guerre ? C’est les vacances ? C’est les
kamikazes ?
    Il dit qu’il était bronzé et que les soldats étaient brûlés. Pourtant, c’était le même soleil. Dans sa voiture, il y avait de la musique. Dans leurs camions, il y avait des armes lourdes.
    Quand les camions arrivent à mon niveau, j’ai tellement honte de moi que je baisse le son de la radio. J’avais subitement honte de ce court instant de bonheur et de paix. J’avais comme l’impression de l’avoir inventé, cet instant. De l’avoir volé à d’autres.
    Sommes-nous réellement en guerre ? Ou faisons-nous juste semblant d’être en paix ?
    C’est quoi la guerre ? Est-ce le nombre élevé des victimes qu’elle fait ? Ou est-ce le bruit assourdissant que provoquent les déflagrations de ses bombes ? les corps dénudés par le souffle des explosions ? ces mains tendues au ciel qui demandent de l’aide, figées par les photographes de la presse et accrochées en grand à la une des journaux ?
    Pour lui, la guerre a commencé il y a longtemps, mais il s’efforce parfois de l’oublier. La guerre a commencé le jour où nous avons commencé à nous barricader, à mettre des barreaux à nos balcons sans fleurs, des barrettes de fer à nos phares de voitures rouillés, des portes blindées à nos maisons sans objets d’art, des doubles cadenas chinois à nos garages sans fortunes. La guerre s’est propagée avec la propagation du marché de fer. Barres de fer soigneusement posées aux côtés de nos sommeils agités. Vieux couteaux aiguisés pour accompagner la promenade de nombreuses nuits sans lune. Portes blindées. Balcons barreaudés. Barrage. Herses métalliques qui s’allongent dès que s’allongent les menaces. Gilets pare-balles. Guérites. Voitures blindées.
    C’est vrai qu’il s’efforce d’oublier mais il n’avait pas prévu ces camions. Il n’avait pas prévu ces attentats. D’ailleurs, personne n’avait prévu ces attentats. Même ceux qui sont censés les prévoir.
    Alors, il se demande comment on peut bronzer quand des gens se font calciner par les explosions de bombes.
    De retour chez lui, ses vacances se sont transformées en interrogations sans fin. Il se demande comment on peut parler de vacances dans un pays en guerre, comment parler de guerre dans un pays où l’on part encore en vacances.
    SAS
sidahsemiane@yahoo.fr

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Commentaires
D
Je me souviens d'une époque, les années 70, on ne fermait pas nos portes à clef. Les voisins, les enfants surtout, allaient de maisons en maisons sans problème. Mais même à cette époque, on ne peut pas dire que ce n'était pas la guerre. Elle couvait sous les cendres de l'époque glaciaire de Boumediene...<br /> Wach Sas quand est-ce que tu rassemblera tous tes écrits de la Tribune en un livre?
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