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Des Nouvelles du Dehors
28 juillet 2007

Alger la bien gardée.

soirdedigoutage

    Alger est triste. Profondément triste. Et l’été n’y peut rien. Elle ne mérite peut-être même pas tout le soleil qui se déploie sur elle. La pluie convient certainement mieux à cette ville. Elle colle pleinement à son aspect renfrogné. On a beau essayer de repeindre les murs de la ville, d’égayer ses façades, Alger reste sombre, malgré sa sublime lumière. A-t-elle perdu le sens de la fête ? L’eût-elle un jour ? Une certaine forme d’amnésie nous fait penser que la fête a pris la clef des champs à cause de ces quinze années de guerre. Même pas vrai, diraient les gosses. On sublime un passé qui n’a peut-être jamais existé. Ou si peu. Avant la guerre, Alger était déjà en guerre contre elle-même. Elle s’enfonçait dans une longue liste d’interdits bigots combinés à un malaise malsain, que l’Etat avait inaugurés bien avant le zèle de la dévotion hirsute, sur laquelle, le plus souvent, on déverse injustement toutes nos rancunes et nos échecs. «Il n’y a rien à faire dans cette ville», me dit Souad, une Libanaise installée ici, depuis quelques mois. Son constat est loin d’être sévère. Souad aime les gens, mais où les trouver ? Comment les aborder ? Dans quel café ? Dans quelle brasserie ?
    On a comme l’impression qu’Alger s’est transformée petit à petit en une espèce de ville conçue pour abriter l’ennui, alors que toute son architecture est une invitation à l’enchantement, au mystère et à l’orgie des sens.
    Alger est une ville policière. N’allez pas croire que c’est à cause des attentats ni à cause du nombre croissant de ses policiers qu’elle est policière. Alger est policière dans son attitude. Dans sa tête. Même sans policiers elle aurait été policière. D’où le drame peut-être.
    On s’y sent constamment guetté. Jaugé. D’abord par ses semblables.
    Les femmes bravent la hargne des regards mâles, mais elles restent tout de même prisonnières du temps et des hommes. Des cendrillons qui n’égarent aucune chaussure mais qui sont tenues de rentrer bien avant minuit chez elles.
    La nuit, les femmes disparaissent. Mais les hommes aussi. Les femmes victimes des hommes et les hommes victimes d’eux-mêmes. Alger est une ville qui ferme comme ses magasins. C’est une ville cadenassée que nous devrions cambrioler. Mais personne n’est assez doué pour forcer ses serrures.
    Quelle horreur, une ville qui ferme ses portes invisibles au nez de ses habitants. Des portes contre lesquelles nous cognons constamment.
    Il ne viendrait à l’esprit de personne de se balader la nuit à pied. Prendre l’air. Un pot. Marcher. Découvrir d’autres senteurs. Voir la mer.
    Même la mer, on ne la voit pas. On ne la voit plus. Est-ce les gens qui se sont détournés d’elle ou est-ce elle qui s’est détournée de nous ?
    Alger est devenue un désert sans sable traversé par des ombres pressées. On a de l’affection pour ses gens mais on ne sait pas toujours où trouver les gens. Comment leur parler ? Nous sommes tous un peu comme Souad, la Libanaise.
    Les dernières séances de cinéma, dans les deux ou trois salles encore fréquentables, sont programmées pour 18 heures. Quand elles ne sont pas carrément déprogrammées pour on ne sait quelles raisons, toujours valables aux yeux des gérants de salles. Après une séance de cinéma ratée que nous reste-t-il ? Les cafés sont fermés. Les bars offrent des prestations médiocres où la gaieté et l’échange sont presque bannis, pour laisser place à des murmures chaotiques ou des esclandres sans nom.
    Depuis plusieurs semaines, les bars sont sommés de fermer aux alentours de 22 heures. Prendre un soda ou une bière devient un vrai parcours du combattant. Et où écouter de la musique ? Et ces expositions, toujours organisées dans des lieux qui n’inspirent pas forcément la sympathie ; malgré la beauté de leurs sites ils sont honnis par la société. Je n’aime pas le palais de la Culture.
    Il est beau, mais je n’ai absolument rien à y faire. Et quand j’y vais, c’est forcément pour faire plaisir à des amis artistes qui y exposent. La culture, la vraie, doit se faire dans la rue. Pas dans les palais, avec des ministres arrogants. El Djazaïr el mahroussa. Alger la bien gardée. Depuis les Turcs, la Régence, Alger est sous surveillance. La moindre manifestation de joie inquiète. La moindre manifestation de colère panique. On a peur de la foule. Une agoraphobie institutionnelle qui n’a rien à voir avec les angoisses de l’individu mais plutôt avec les terreurs des dirigeants envers la société. La société n’a jamais été écoutée, mais on l’a souvent mise sur écoute.
    Quand il y a un concert de musique, il y a souvent plus de policiers que de public. Idem pour les matchs de football. Alger est immédiatement quadrillée.
    Pour une raison étrange, les magasins de meubles restent ouverts, très tard la nuit.
    Un ami anxieux me dit, dans un humour teinté de doute, que les vendeurs de meubles doivent travailler pour la police. Et si les Algériens, au lieu de s’amuser la nuit préféraient acheter des meubles ? Peut-être bien. Mais en attendant une réponse précise pour savoir pourquoi les magasins de meubles restent ouverts la nuit alors que tout est fermé, on peut déjà dire qu’une ville qui ne vit pas la nuit n’est pas une ville. C’est un village agricole sans les champs de blé à labourer.

   

SAS
sidahsemiane@yahoo.fr

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Commentaires
K
J'ai beaucoup aimé ce billet parmi les autres du blog que j'ai survolé mais c'est celui-là qui a retenu le plus mon attention. <br /> "Souad aime les gens, mais où les trouver ? Comment les aborder ? Dans quel café ? Dans quelle brasserie ?"<br /> Sommes nous tous réduit à l'errance et la solitude?<br /> "Il ne viendrait à l’esprit de personne de se balader la nuit à pied. Prendre l’air. Un pot. Marcher. Découvrir d’autres senteurs. Voir la mer."<br /> On en a envie tous les jours!
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